Echos de La Rosée ou comment s’adapter à l’inconnu

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Cela fait plusieurs fois que nous échangeons, Fabienne et moi, sur cette période de confinement et ses répercussions sur les populations les plus fragiles. Elle accepte à ma demande de témoigner de cela lors d’un échange téléphonique. Nous prenons rendez-vous. Ce jeudi 9 avril. A 1O h, elle est là, au bout du fil et contente. Elle vient d’avoir des nouvelles du Directeur de l’Ecole Saint-Pierre qui s’organise pour que les enfants puissent être suivis après les vacances dans le cas où le confinement ne serait pas levé. Elle me raconte.

Chaque enseignant va préparer pour sa classe des activités à réaliser à domicile en format pdf et les transmettre à la Rosée. Là, les documents vont être imprimés, puis des colis constitués tenant compte des différentes fratries. Ensuite, Fabienne, Ilias et Mohamed vont aller les déposer dans les boîtes aux lettres. L’école, connaissant les familles des enfants et en collaboration avec l’assistante sociale, a également constitué des colis de matériel pour les familles le plus dans le besoin. Crayons, marqueurs, ciseaux, papier ont ainsi été distribués. La majeure partie des enfants viennent de cette école (2 implantations). Disposant du document, il sera plus aisé pour l’équipe de prendre contact avec les enfants et accompagner ceux qui en auraient besoin. Mais, nous dit Fabienne, « il n’y a pas d’obligation de réaliser le travail dans son entièreté. Il ne s’agira pas de les forcer. Grâce aux subsides de la COCOF, nous allons pouvoir acheter 20 tablettes et les mettre à disposition de certains enfants. La situation n’est pas facile, nous devons faire là où on en est » en collaboration de ceux et celles qui sont « là où ils sont ». « Nous ne sommes certainement pas là pour juger ! ».

Ce matin, j’entendais l’appel de la Ligue Braille pour que des volontaires prennent le temps de lire des livres pour les personnes aveugles confinées dans leur domicile. Et, de me dire que nous pourrions proposer cela aux enfants. J’en parle à Fabienne qui, plus proche du terrain tempère mon enthousiasme.

« Les enfants sont hors du temps. Ils ne seront pas nécessairement là au moment où tu les appelleras. Ce sont pour la plupart des enfants qui arrivent tard aux activités, certains arrivant parfois trop tard pour participer à un événement. Il faut tenter de faire le maximum et accepter qu’on ne touchera pas tout le monde. Les premiers jours, c’était ma révolte. Aujourd’hui, j’essaie, réessaye, essaie encore une fois…, certaines familles s’isolent. Je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est d’être d’attaque au retour. C’est pour cela que l’on repeint les locaux, que l’on lave matériel et déguisements, qu’on essaye d’être en ordre administratif, … pour que quand on rouvre, on soit pleinement disponibles pour accueillir les enfants et même aller dans les écoles pour proposer des activités créatives. De 10h à 18h, au service des enfants ! ».

Et si nous revenions du début ? Tu travailles comme coordinatrice à La Rosée. Pourrais-tu me dire ce qui est proposé par l’association à la population de ce quartier de Cureghem aujourd’hui ?

Le service socio-juridique avec Annie, assistante sociale et Florida juriste. Elles gardent le contact avec les familles (mails, téléphone) pour avancer dans les dossiers voire les finaliser pour qu’ils soient prêts au moment de la reprise. C’est notamment le cas des personnes aujourd’hui sans papier. Et de nous parler de cette jeune fille de plus de 18 ans venue rejoindre sa famille sans pouvoir bénéficier du regroupement familial. Enfermée dans le centre fermé de Bruges, elle est aujourd’hui dans sa famille ! Petite réjouissance dans cette période sombre.

Il a fallu aussi réorganiser l’aide alimentaire apportée aux habitants, aux familles, prendre contact avec les différentes banques alimentaires pour que ceux et celles qui n’habitent pas le quartier puissent trouver de l’aide dans leur quartier sans devoir se déplacer. Aujourd’hui, la distribution se fait le vendredi. Certaines familles dont les enfants sont inscrits aux activités y viennent. Une occasion de prendre des nouvelles de chacun. De nouveaux dossiers ont été ouverts. La perte de revenu a fait apparaître de nouveaux besoins.

Les cours d’alphabétisation de de FLE sont suspendus. Claire et Anne se relaient au téléphone pour joindre les femmes et prendre un petit moment pour papoter.

« Le quartier est relativement vide. Dans notre public, il y en a pas mal qui ont vécu dans la peur à leur arrivée en Belgique. Aujourd’hui, ils ont peur du virus. Ce qui me marque, c’est que notre public a tellement l’habitude de mettre en place des stratégies pour garder la tête hors de l’eau qu’ils ont cette force. Et ça, ça me rassure. »

Au moment où vous avez appris la fermeture des écoles de devoirs, combien d’enfants étaient accueillis ? Vous avez eu peu de temps pour vous organiser, réagir. Comment avez-vous envisagé votre travail pendant cette période de confinement ? Qui fait quoi aujourd’hui ?

70 enfants sont accueillis chaque semaine. 50 habitent le quartier, 10 à Molenbeek, 10 dans le quartier de la place Bizet. « Nous avons eu très peu de temps pour réagir. Nous devions faire une exposition. Nous avons nettoyé les locaux comme prévu. Moi, en tant que coordinatrice, « j’ai dû gérer les angoisses de chacun, gérer l’inconnu dans lequel la situation nous menait. Nous avons pas mal partagé. C’est très important. En une semaine il a fallu mettre en place, expérimenter différents moyens de communication (facebook, Whatsapp), prendre les numéros de téléphone… (30% des enfants seulement peuvent être joints par les réseaux sociaux ou les mails). J’ai appris des choses en informatique !  Se dire aussi qu’est-ce qu’on peut faire là ou l’on est même pour d’autres missions de la Société Saint-Vincent de Paul. David, par exemple, cultive dans un potager collectif près de chez lui. Une fois par semaine, il charge sa voiture et descend sur Bruxelles pour déposer ses légumes. Nathalie, elle, soutient un projet local de la Croix-Rouge d’accueil de Fedasil près de chez elle. Il faut accepter que chacun de son côté continue de faire des choses, de répondre aux besoins là où ils sont. Il faut être d’accord avec cela dès le départ et ne pas faire de reproches après. On apprend beaucoup sur soi-même, sur comment on réagit personnellement. C’est important de savoir cela. Chacun tente de garder contact avec les enfants de là où il est. Joëlle propose un conte en différents épisodes sur une semaine et illustré des dessins des enfants de La Rosée. Engagée dans un article 60, elle terminera son travail fin avril. Elias a des contacts avec des familles qui ne parlent que l’arabe. Les syriens ont un réseau entre eux. Ils se confinent dans leur réseau et c’est bien ! Une réalité avec laquelle on va travailler. Nous sommes dans le mois précédant le Ramadan. Beaucoup l’ont déjà commencé. L’après-midi, la famille se repose, le soir elle partage le repas, regarde un film. Ils sont confinés et ont adapté ce rythme, celui des prières. Ça les réconforte. Chacun trouve son réconfort là où il peut. Les enfants disent que La Rosée leur manque. Je reçois des messages suite aux énigmes que je leur envoie. La recette du moelleux au chocolat a eu énormément de succès. Nous avons reçu beaucoup de mercis ! »

Quels sont les constats que tu poses aujourd’hui sur la situation ? Quelles sont les principales difficultés ? Les priorités ?

« Pour moi, les priorités sont au nombre de trois. En premier garder le lien, un lien léger pour les entendre sur comment ils vont, comment ils vivent. En second, préparer l’accueil de la manière la meilleure possible pour le retour. Comme on ne sait pas combien de temps va durer le confinement, on avance pièce après pièce. Nettoyer, ranger, peindre… En troisième garder le lien avec les collègues. C’est important de les entendre et de les encourager !

Les difficultés sont d’abord celles des familles. « Elles n’ont pas l’aisance de se promener dans un espace vert (Le Parc de la Rosée est un des deux parcs fermés en région bruxelloise ndlr), sont confinés dans des logements parfois petits, n’ont pas le matériel, l’informatique comme on voit à la télé. Ce confinement, on peut arriver à le vivre plus ou moins confortablement dans les milieux aisés. Mais ces vidéos, ces recettes des pédagogues, psychologues et autres spécialistes qu’on nous montre à la télé sont difficilement applicables. Ça ne s’applique pas à notre public. Ils ont leurs ressources propres. Faisons leur confiance. »

-- Propos recueillis par Véronique Marissal auprès de Fabienne Marique